Réservoir Dogs – Quentin Tarantino – « La Violence » RPU 2015

Jean-Jacques Sadoux

                                                 Reservoir Dogs (Quentin Tarantino, 1992)

 

(Extrait d’un entretien avec  Graham Fuller, paru dans Projections 3, avril 1994)

Graham Fuller : Quand vous vous êtes mis à écrire Reservoir Dogs est ce que vous aviez en tête une structure ou une stratégie ?

Quentin Tarantino : Absolument. Je voulais que tout le film soit sur un événement que l’on ne voit pas, et je voulais qu’il se déroule entièrement à l’endroit du rendez-vous dans un entrepôt- ce qui aurait duré normalement dix minutes dans un film de braquage. Je voulais que tout le film se déroule là et jouer avec une véritable horloge marquant le temps et non pas avec  le tictac d’une horloge de cinéma. Je voulais aussi présenter ces types dans toute une série d’épisode. Comme quand on lit un livre, vous lisez que Moe, Larry et Curly (1) font des choses dans le premier, le second et le troisième chapitre, et puis le quatrième chapitre est sur Moe cinq ans au paravant. Puis, quand le chapitre est terminé, vous vous retrouvez au cœur de l’action à nouveau, mais vous en savez un peu plus sur ce type qu’avant.

G.F. : Est-ce que vous avez fait un travail de ré écriture sur Reservoir Dogs ?

Q.T. : Pas vraiment. Je l’ai écrit très vite, et six mois après nous le tournions. Après la première mouture, le grand changement que j’ai introduit c’est la scène où Mr. Orange est aux toilettes en train de raconter son histoire – c’est toute la séquence de formation du flic infiltré. Je l’avais écrite avant et puis au moment d’assembler le scénario j’ai pensé : « Personne ne s’intéresse à ça, ils veulent retourner à l’entrepôt. » Aussi je l’ai retirée et mis dans un tiroir. Mais quand on a essayé de faire le film je l’ai reprise et lue et je me suis dit : « Quentin tu es dingue ! C’est vraiment bon. Il faut l’inclure à nouveau. » C’est le seul changement dans la seconde mouture.

Je n’ai aussi pas arrêté de changer qui dit quoi dans la scène d’ouverture. C’est le passage qui a été le plus remanié. A un moment c’était Mr. Blonde qui disait quelque chose, et à un autre moment c’était Mr. Blanc qui le disait, et  un tel disait ça et un autre disait autre chose. Je n’arrêtais pas d’échanger les répliques. C’est vraiment marrant, parce que quand je regarde ça maintenant on ne dirait pas qu’il y a eu tous ces changements. Mais peut être que ça été une bonne chose que je le fasse – parce que finalement  ceux qui disent les bonnes choses sont ceux qui devaient les dire.

G.F. : Est-ce que vous avez dû mettre des choses au point pendant le tournage ?

Q.T. : La seule chose que j’ai faite ça été de peaufiner un peu après les auditions, parce que c’est à ce moment qu’on se rend compte quelles répliques ne sonnent pas bien. Alors je m’en  débarrasse. Ou alors il arrive aux acteurs soit d’improviser volontairement, soit de dire accidentellement quelque chose qui  quelque fois est  drôle.

(1) Moe, Larry et Curry sont les héros d’une série cinématographique comique   qui s’étale sur trois décennies (années trente à cinquante) et qui est devenue culte :  The Three Stooges. Reprise abondamment par la télévision américaine elle fait partie du fond culturel que Quentin Tarantino a toujours revendiqué comme étant celui qui a formé sa personnalité de metteur en scène. (NDRL)

 

Quentin Tarantino parle du rôle et de l’importance de la violence dans ses films       

 

G.F. : Est-ce que vous pensez que vos scénarios offrent une sorte de tribune légitime à la violence ?

Q.T. : Je ne vois pas les choses tout à fait comme ça. Je ne prends  pas la violence très au sérieux. Je trouve la violence très drôle, en particulier dans les histoires que j’ai racontées récemment. La violence fait partie de ce monde et je suis attiré par l’aspect choquant de la violence dans la vraie vie. Ce ne sont pas des gens que l’on jette d’hélicoptères ou de trains lancés à toute vitesse, ou même de terroristes détournant quoique ce soit. La violence dans la vraie vie, c’est quand vous êtes  au restaurant et qu’un homme et une femme se disputent et tout d’un coup le type est tellement furieux contre elle qu’il prend une fourchette et la lui plante dans le visage. C’est vraiment dingue et ça a un côté BD- mais c’est le genre de choses qui arrive aussi ; c’est comme ça que la violence véritable arrive brutalement et en hurlant sous vos yeux dans le quotidien. Je m’intéresse à l’acte, à la manière dont elle  explose, et tout ce qui va se passer après. Qu’est-ce qu’on fait après ça ? Est-ce qu’on tabasse le gars qui a blessé la femme ? Est-ce qu’on les sépare ? Est-ce qu’on appelle les flics ? Est-ce qu’on se fait rembourser parce que ça nous a gâché le repas ? Ce qui m’intéresse, c’est de répondre à toutes ces questions.

G.F. : Que pensez-vous de l’esthétique visuelle de la violence qui semble omni présente dans vos films ? Dans les films de John Woo, par exemple, la violence est agréable à contempler si on l’accepte comme  genre  de violence stylisé comme dans une  BD.

Q.T. : Eh bien, comme je disais, je prends mon pied dans la violence au cinéma. Ce qui est embêtant  dans les films, c’est que peu importe jusqu’où on va, quand il s’agit de violence on porte une paire de menottes que, par exemple, un romancier lui n’a pas. Un écrivain comme Carl Hiessen peut faire ce qu’il veut. Plus c’est choquant, meilleur c’est pour ses livres. Au cinéma on n’a pas cette liberté.

G.F. : Lorsque je vous ai demandé si vos films offraient une tribune légitime à la violence, ce que je voulais dire c’est que – dans des limites raisonnable bien sur – on peut accepter de voir sur l’écran des choses qui ne sont pas acceptables dans la vraie vie.

Q.T. : Oh, je suis absolument d’accord avec ça. Pour moi la violence est un sujet totalement esthétique. Quand on dit qu’on n’aime pas la violence dans les films, c’est comme quand on dit qu’on ne supporte pas les séquences dansées  au cinéma. J’aime bien les passages dansés dans les films, mais si je ne les aimais pas, ça ne voudrait pas dire qu’il ne faudrait plus en tourner. Quand on tourne des scènes violentes au cinéma, il y a plein de gens qui n’aiment pas, parce que c’est un sommet qu’ils ne peuvent pas gravir. Et ce ne sont pas des idiots, ce n’est pas leur truc simplement. Et on les force pas à y aller, il y a plein d’autres choses qu’ils peuvent voir. Si vous pouvez escalader ce sommet, alors je vais vous donner quelque chose à escalader.

G.F. : Les notions conventionnelles de morale sont redues compliquées dans vos films. Vous donnez à vos personnages la permission de tuer.

Q.T. : Je n’essaie pas de prêcher une morale quelconque ou faire passer un message, mais en dépit de toute la sauvagerie que l’on trouve dans mes films, je pense qu’ils mènent habituellement à une conclusion morale. Par exemple, je trouve que le dialogue  entre  Mr.Blanc et Mr. Orange à la fin de Reservoir Dogs est très émouvant et profond dans sa dimension morale et son échange humain.

 

Traduit de l’américain par Jean-Jacques Sadoux

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