Barry Lyndon———–12 janvier 2016

barry-lyndonStanley Kubrick

1975

Durée  :2 h 58

Ray O Neal
Marisa Berenson
Stanley Kubrick souhaitait faire un film sur Napoléon et plus particulièrement sur les raisons qui l’on mené à sa perte. Mais un film « Waterloo » venait de sortir qui l’obligea à abandonner son projet.

Il souhaitait néanmoins traiter de la décadence et dans un film historique.
« Les films historiques ont ceci de commun avec les films de science-fiction qu’on tente d’y recréer quelque chose qui n’existe pas »
– Entretiens (exceptionnel ! ) de Stanley Kubrick avec Michel Ciment (Copie littérale de l’excellent livre de Michel Ciment sur Stanley Kubrick) :

Dans Orange mécanique, nous étions pendant la première partie contre Alex et pendant la seconde avec lui. Ici, le sentiment d’attraction-répulsion pour Barry est mêlé à tous les instants.
Thackeray dit qu’il a écrit « un roman sans héros ».Comment ne pas avoir de sympathie pour Barry ? Mais comment ne pas être conscient de ses faiblesses, comment ne pas voir les impasses où le mènent son ambition et les limites de sa personnalité (qui viennent du développement de son cynisme) ? Selon les définitions traditionnelles, ce n’est, certes, ni un héros ni un méchant. Ainsi en va-t-il de la plupart des gens.
On a, à la fin, le sentiment d’un profond gâchis,
– C’est une tragédie. Le mélodrame, lui, utilise tous les problèmes et les catastrophes qui frappent les personnages principaux pour vous montrer que, finalement, le monde est un lieu de justice. Mais la tragédie, qui essaie de présenter la vie de façon plus honnête et plus proche de la réalité que ne le fait le mélodrame, vous laisse un sentiment de désolation.
– En épilogue de votre film : une phrase qui précise qu’aujourd’hui tous ces personnages qui ont tant bataillé, lutté, sont égaux devant la mort. On peut y voir un énoncé nihiliste ou religieux.
– Mais non. Ce n’est qu’un post-scriptum ironique et triste qui vient du livre. Si l’on fait une fin optimiste, on ne montre pas les choses comme elles sont. On retrouve toujours le problème suivant : va-t-on renforcer l’illusion qu’installe le mélodrame ou montrer la vie telle qu’elle est ? Ce n’est pas être nihiliste ; juste réaliste. Donner du monde une image fausse n’a d’intérêt que si vous faites du pur divertissement.
– Vos films montrent ce monde dans un état de guerre perpétuelle. Dans Barry Lyndon, après les batailles de la première partie, on entre dans le champ clos de la vie conjugale.
– Dans un ouvrage de fiction, il faut qu’il y ait un conflit, que quelque chose aille de travers. Même dans La Mélodie du bonheur, cela arrive ! Mais surtout, l’état de guerre n’est pas l’image la plus inexacte que l’on puisse donner de la vie de la plupart des gens : combien y a-t-il de mariages heureux ?
Combien de beaux-pères aiment leurs beaux-fils et réciproquement ?

– Il est bien des aspects de ce film qui évoquent le cinéma muet. Je pense, en particulier, à la scène de séduction de lady Lyndon à la table de jeu.
– La meilleure chose à faire de cette scène, c’était de la raconter visuellement. Sans que personne ne parle et sans qu’ils se parlent, leurs attitudes en disaient plus que toute autre chose sur leurs relations. Ce qu’elle éprouve pour lui est purement physique. C’est ce qui se passe dans la plupart des cas où une personne est désespérément amoureuse. Les relations masochistes et tragiques que j’ai pu observer reposent essentiellement sur une attirance physique. Il m’a semblé que cela était exprimé de façon élégante et réaliste, avec l’aide de Schubert.

– Pensiez-vous déjà au Trio de Schubert en préparant et en tournant cette scène de séduction ?
– Non. J’y ai pensé seulement au montage, j’avais d’abord voulu m’en tenir exclusivement à la musique du XVIIIe siècle, quoiqu’il n’y ait aucune règle en ce domaine. Je crois bien que j’ai chez moi toute la musique du XVIIIe enregistrée sur microsillons. J’ai tout écouté avec beaucoup d’attention. Malheureusement, on n’y trouve nulle passion, rien qui, même lointainement, puisse évoquer un thème d’amour ; il n’y a rien dans la musique du XVIIIe qui ait le sentiment tragique du Trio de Schubert. J’ai donc fini par tricher de quelques années en choisissant un morceau écrit vers 1814. Sans être absolument romantique, il a pourtant quelque chose d’un romanesque tragique.

– Vous avez aussi triché en demandant à Léonard Rosenman d’orchestrer la Sarabande de Haendel en lui donnant une sorte de lenteur romantique.
– Cette fois encore, cela vient du fait qu’il n’y a pas de musique dramatique au XVIIIe. En fait, quand j’ai entendu jouer cette Sarabande à la guitare, c’était ce qui se rapprochait le plus d’Ennio Morricone !.., sans jurer avec le reste de l’histoire. On l’a, en fait, très simplement orchestrée et elle n’évoque pas d’époque particulière.
– Elle accompagne aussi ce dernier duel, qui n’est pas dans le roman et que vous avez situé dans un pigeonnier.
C’était une grange pleine de pigeons… Je cherchais comment rendre ce duel intéressant et différent quand j’ai vu une photo de cette grange avec ses pigeons : je les ai, bien entendu, gardés, avec leurs roucoulements, James Joyce a écrit une merveilleuse phrase : « L’accident est le portail vers la découverte, » Si vous savez l’utiliser, cet accident, vous ajoutez une dimension à ce que vous faites.
La plupart des films ressemblent aux matchs sportifs : on commence avec un plan, mais l’endroit où tombe le ballon et l’emplacement des joueurs font naître des occasions qui, si vous savez les utiliser, vous permettent de mieux jouer.
Vous êtes célèbre pour la précision de vos recherches quand vous abordez un nouveau sujet.
Je suis un peu comme le détective à la recherche d’indices, Pour Barry Lyndon, j’ai constitué un fichier de toutes les sortes de renseignements et d’informations dont nous pourrions avoir besoin. Je crois que j’ai mis en pièces tous les livres d’art disponibles dans le commerce pour classer les reproductions de tableaux \Quant aux costumes, ils sont tous copiés d’après des tableaux. Aucun n’a été conçu aujourd’hui : il aurait été stupide de demander à un modéliste d’interpréter le XVIIIe siècle d’après ses souvenirs scolaires ou d’après des tableaux, parce que personne ne peut avoir assez d’intuition pour dessiner des costumes d’une autre époque – il n’y en a déjà pas beaucoup qui ont assez d’intuition pour dessiner les costumes de leur propre époque \ Mais c’était très amusant d’accumuler les informations. La préparation du film a pris un an avant le tournage proprement dit. Le cinéma doit avoir l’air réaliste puisque son point de départ est toujours de faire croire à l’histoire qu’il raconte. Et c’est aussi une autre espèce de plaisir : la beauté visuelle et la recréation d’une époque. Ce qu’on essaie dans un film historique, c’est de tout faire pour avoir l’impression de tourner en décors naturels, aujourd’hui.
– C’est pour cette raison que vous n’avez utilisé que des sources de lumière d’époque ?
– L’éclairage des films historiques m’a toujours semblé très faux. Une pièce entièrement éclairée aux bougies, c’est très beau et complètement différent de ce qu’on voyait d’habitude au cinéma, J’ai fini par trouver cet objectif O,7 F Zeiss : c’est le plus rapide qui existe. Il n’avait jamais été utilisé pour tourner un film. Il a fallu aménager spécialement une caméra pour le fixer. Dans les scènes éclairées à la bougie, nous utilisons un très faible éclairage complémentaire venant du plafond, mais la source principale a toujours été les bougies,
De même, pour les scènes de jour, nous avons dû éclairer les pièces de l’extérieur parce que nous n’avions pas assez de lumière naturelle, mais l’éclairage venait toujours des fenêtres. En effet, à moins que l’on ne désire faire un fûm irréaliste, il faut rechercher dans l’éclairage, les décors et les costumes les conditions premières du réalisme.
– Comment travaillez-vous avec les acteurs ?
Nous parlons d’abord du personnage en général, puis de la scène à tourner et de l’attitude du personnage dans celle-ci, qui est parfois différente de la ligne générale de l’histoire. C’est alors qu’arrivé le moment terrible de la première répétition sur le lieu même où l’on va tourner. C’est toujours une surprise. Il faut changer le dialogue, abandonner des idées en saisir de nouvelles. Quant au tournage proprement dit, il ne fait jamais problème. Ce qui est difficile, c’est _d’amener pendant les répétitions la scène au point où on le désire
‘Pourquoi avez-vous choisi Ryan O’Neal pour incarner Barry Lyndon ?3
A vrai dire, je ne pouvais penser à personne d’autre. Il convenait au personnage : le rôle ne pouvait donc être tenu par Jack Nicholson, Dustin Hoffman ou Steve McQueen. II fallait aussi qu’il soit jeune au début et moins jeune à ‘.a f_-. L^ seul problème que l’on puisse avoir avec un acteur, c’est quand il est littéralement incapable de faire quelque chose et qu’il cherche des tas de prétextes pour ne pas le faire, et qu: n’ont rien à voir avec son incapacité. Tout à fait comme dans .a Nuit américaine de Truffaut, au moment où Valentina Conese ne s’est pas donné la peine d’apprendre son rôle et qu’elle s en prend à un membre de l’équipe du film.
– La presse new-yorkaise avait été incroyablement sévère avec 2001. La presse anglaise, à son tour, n’a pasménagé Barry Lyndon. En êtes-vous affecté ?
J’ai remarqué que beaucoup de critiques, au bout de quelques années, se font une certaine idée des cinéastes et qu’ils s’y tiennent. La psychologie de groupe des critiques de cinéma est difficile à comprendre. Quand vous y réfléchissez le dernier de mes films sur lequel la presse britannique a émis un jugement réellement positif, c’est Docteur Folamour
– Vos trois derniers films montrent que vous avez renoncé à faire composer de la musique originale.
– Dans 2001 j’ai utilisé Ligeti, compositeur contemporain. Mais si l’on veut utiliser de la musique symphonique, pourquoi la demander à un compositeur qui de toute évidence ne peut pas rivaliser avec les grands musiciens du passé ? Et c’est un tel pari que de commander une partition originale. Elle est toujours faite au dernier moment, et si elle ne vous convient pas, vous n’avez jamais le temps de changer. Maisquand la musique convient à un film, elle lui ajoute une dimension que rien d’autre ne pourrait lui donner. Elle est de toute première importance.
– Aimez-vous écrire seul vos scénarios ou préféreriez-vous travailler avec un scénariste ?
– J’aimerais beaucoup avoir un collaborateur qui serait sur la même longueur d’onde que moi et qui me stimulerait. Ce fut le cas lorsque j’ai écrit 2001 avec Arthur Clarke. L’un des paradoxes du cinéma, c’est que, en général, les vrais écrivains n’écrivent pas de scénarios, à moins d’être metteurs en scène eux-mêmes – et, dans ce cas, ils écrivent pour eux-mêmes.
C’est ce que je fais !
– Vos mouvements de caméra sont-ils prévus à l’avance ?
Rarement. La première approche du film se produit
quand on commence à écrire le scénario ; la deuxième, quand on répète – ce qui fait encore partie de l’écriture, parce qu’on apporte des changements au texte. Et quand quelque chose se produit qui mérite d’être sur l’écran, je décide comment on va le tourner. J’ai toujours l’impression que s’il se passe vraiment quelque chose, peu importe la façon dont on le filme – ce qui est faux, bien entendu ! – mais c’est tout de même ce que font les personnages qui compte. Évidemment, il vaut mieux le montrer de façon cinématographiquement intéressante, mais pour moi cela vient assez facilement une fois que la scène existe. La première version de Barry Lyndon m’a pris trois ou quatre mois. J’ai le sentiment que si les événements sont justes, il est assez facile d’écrire une scène. Il arrive qu’on n’ait pas le temps d’écrire entièrement une scène parce qu’elle posait des problèmes que l’on n’a pas pu résoudre avant le tournage. Mais lorsque le but de cette scène est clair et juste, lorsque le comportement des personnages est bien appréhendé et lorsque l’action est adéquate et intéressante, alors le dialogue semble venir de lui-même, sans grand effort,..
– Vous êtes un novateur, mais vous ne rejetez pas une certaine tradition.
– Je pense que l’une des grandes erreurs de l’art du XXe siècle est son obsession de l’originalité à tout prix. Même de grands novateurs comme Beethoven ne se coupaient pas totalement de l’art qui les précédait. Innover, c’est aller de l’avant sans abandonner le passé

Kubrick – Michel Ciment – Calmann-Levy 1980

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