La Soif du Mal – 14 Mai 2013 à 20:30

affiche-touch_of_evil Cycle « Films Noirs »

USA, 1958 . Titre original « Touch of Evil ». 108mn

Réalisé par Orson Welles, écrit par Orson Welles, adapté de Badge of Evil de Whit Masterson et du scénario original de Paul Monash.

Avec Orson Welles, Charlton Heston, Janet Leigh, Marlene Dietrich

Portrait et bilan d’un monde à l’agonie dont Welles fixe avec passion les derniers soubresauts. Un suspense alimenté par les longs plans-séquences

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Le film décrit la lente désagrégation d’un personnage dépassé par sa compromission grandissante avec le mal. Le titre américain imposé à Welles, A touch of evil, est bien plus subtil que La soif du mal, sauf si on entend que c’est le mal qui a soif, soif de corrompre un individu dès qu’il l’a effleuré. Hank Quinlan n’a en effet aucune soif du mal. En revanche, colosse au pied d’argile, sa corruption est allé grandissante depuis l’assassinat non résolu de sa femme, depuis une blessure reçue jusqu’au crime en passant par la fabrication de fausses preuves. Face à lui, se dresse le nouveau pouvoir, ironiquement incarné par un mexicain, qui se prétend incorruptible mais ne saurait certainement pas réagir si le mal l’effleurait.

Jean-Luc Lacuve le 10/01/2012

Malgré les interventions (coupes, remontages) La Soif du Mal demeure un chef- d’œuvre. D’une intrigue policière pas particulièrement géniale, Wells tire une œuvre monumentale, se taillant sur mesure le rôle d’un personnage titanesque, malade d’absolutisme, moralement blâmable mais doté d’un flair infaillible, capable de faire surgir moins la grandeur du mal que l’innocence du péché …

A l’ambiguïté morale qui est au cœur du récit correspond en outre une analogue ambiguïté esthétique qui se joue sur une violente déformation de l’espace (du fait de l’utilisation prépondérante de grands angles à courte focale qui exagèrent la profondeur de champ, et du travail extraordinaire entre ombre et lumière accompli par le chef opérateur Russell Metty) souligné par le rythme absolument imprévisible du montage.

Paolo Mereghetti, Orson Wells, Le Monde/Les Cahiers du Cinéma, 2007

Le titre français du film La Soif du Mal, des plus malencontreux, peut prêter à contresens. Aucun personnage n’est assoiffée de mal … A Touch of Evil, c’est littéralement, une touche de mal, ou peut-être simplement une tache, qui s’élargit avec le déroulement du film, tâche qui atteindra et contaminera chacun des personnages …La tâche de mal moral, évidente chez l’assassin, quasi invisible chez Grandi, se verra étendre rapidement à Quinlan, puis plus discrètement et chargée d’ambiguïté à Vargas lui-même. Quant à Suzy, c’est sur son corps même que l’image nous la montrera … Les taches du mal du film sont montrées sans ambiguïtés par la caméra, redoublant visuellement le mal moral qui envahit la ville.

Daniel Becquemont, Professeur de sémiotique de l’image au département d’anglais de l’université Lille 3

Film maudit, un de plus dans la carrière d’Orson Welles, La Soif du Mal est un génial bréviaire des techniques de montage et de prises de vue.

Carole Wrona, Critikat.com

L’objectif à court foyer (18,5 cm) est utilisé avec une habileté et une maitrise diaboliques, ses qualités optiques sont utilisées au maximum dans de longs plans- séquences qui conjuguent les effets de profondeur de champ de Citizen Kane à une mobilité acrobatique des recadrages. La mise en scène parait conçue à partir de deux notions fondamentales, plastique et rythmique : la déformation de l’espace en profondeur par le 18,5 cm et la vitesse. Le découpage de Touch of Evil est proprement vertigineux, la vitesse des personnages toujours mobiles à l’intérieur du cadre se superpose à celle du montage toujours enchaîné dans le mouvement.

André Bazin, Orson Welles, Cerf, 1972

Jeune compositeur de l’écurie Universal, Henry Mancini s’est vu affecter à La Soif duMal, à l’age de 33 ans …C’était une de ses toutes premières partitions …Orson Welles, écarté de la salle de montage en cours de post-production par la direction d’Universal, n’est pour rien dans le détail de la musique d’un compositeur qu’il n’a fait qu’entrevoir… mais la coïncidence de vues, à l’en croire était totale … il a eu la chance de se voir attribuer un musicien dont la partition est admirablement accordé à son film…D’autres films noirs … avaient reposé principalement sur une musique d’ambiance, mais La Soif du Mal, alors que ses prédécesseurs jouaient la carte de la raréfaction musicale, comporte plus de cinquante minutes de musique … L’ambiguïté du rôle de la musique de La Soif du Mal, qui fait une grande part de son prix, trouve son origine dans l’interprétation de la commande de Welles. Ce dernier souhaitait que la majorité de la musique provînt d’une source réelle et privilégiât les rythmes afro-cubains … De fait, les trois quarts de la musique du film émanent de bars, de juke-boxes, d’autoradios, de haut-parleurs … La mise en scène souligne avec une rare opiniâtreté cet enracinement réaliste.

François Thomas, Positif, # 452, octobre 1998

…Un film qui ne cesse de fasciner… mais on finit aussi par le trouver en quelque sorte troublant. Plus que Shakespeare, avec qui Welles a si obstinément, semble-t-il, cherché la comparaison, on peut préférer invoquer Webster(1) dans les pièces duquel la créativité élisabéthaine dégénère en morbidité et en décadence… Le profond malaise moral et métaphysique que le film de Welles communique … laisse subsister dans l’esprit un trouble d’où n’est pas entièrement absent le dégout.

Robin Wood, Welles, Shakespeare et Webster, Positif, # 167, mars 1975

  1. John Webster (1580-1624) Ses tragédies, jalonnées d’épisodes atroces font de lui un des plus vigoureux dramaturges du théâtre élisabéthain. Ses pièces (Le Démon Blanc, La Duchesse d’Amalfi) en présentant le côté le plus sombre de l’humanité préfigurent la littérature gothique anglaise du XVIIIème siècle. (Wikipédia)

 

orsonOrson Welles (1915- 1985)

Réhabilitant les valeurs, les techniques du muet (profondeur de champ, dynamique du cadre et de l’angle, plongées et conter plongées, longs plans fixes pour servir le jeu de l’acteur) et plaçant avant toute chose le montage parce qu’il est rythme et musique, Welles s’est fait simultanément le héraut d’un cinéma de la parole … («  Le secret de mon travail c’est que tout est fondé sur la parole »)… Avec Welles le parlant est réellement devenu parlant. Homme de spectacle, homme des médias, Welles a créé un art profondément accordé à la réalité de notre temps, à notre civilisation de la communication et du spectacle. Son œuvre emprunte au journal imprimé ou télévisé, à la radio, à la presse à sensation, à la publicité (« mes films sont rapides comme des films publicitaires »), au thriller, au mélodrame hollywoodien, qui tous lui fournissent des formes spontanément appropriées à l’expression du tragique contemporain … Chez Welles, toute biographie – et chacun de ses films est le bilan d’une existence – devient théâtre, reportage, investigation labyrinthique, dossier d’enquête, rapports de témoins. Le réalisateur utilise l’objectif grand angulaire pour « la fraicheur de son regard » et par ce qu’il donne un champ de vision voisin de celui de l’œil humain. Il pratique à sa convenance le découpage en plans séquences aussi bien que le montage court (Citizen Kane comporte 562 plans, Othello en compte plus de 200).

Génie multiple, exubérant, désordonné, dont l’abondance des dons et la démesure ont fait tôt dire qu’il était un génie de la Renaissance, Welles s’est mis dans tous ses films, mais pour exorciser ses démons …

Barthélemy Amengual Dictionnaire du Cinéma Américain, Larousse, 1988

La référence à Shakespeare instruit et éclaire toute l’œuvre de Welles …Tous ses films s’inspirent de la poétique définie dans Le Songe d’une Nuit d’Eté. La vérité est le masque du mensonge dont il faut s’affubler pour découvrir le sens caché. C’est par la fable, par la fiction, qu’il faut prendre la vérité à son piège. Les personnages wellésiens sont tous en proie à ce jeu mortel où chacun dit le contraire de ce qu’il est pour prendre l’autre au piège de sa propre fable.

Olivier-René Veillon, Le Cinéma Américain, les années cinquante, Seuil, 1984

Pour moi, presque tout ce qui est baptisé mise en scène est un vaste bluff. Au cinéma, il y a très peu de gens qui soient vraiment des metteurs en scène, et parmi ceux-ci, il y en a très peu qui aient jamais l’occasion de mettre en scène. La seule mise en scène d’une réelle importance s’exerce au cours du montage. Il m’a fallu un mois pour monter CitizenKane, six jours par semaine. .. Pour mon style, pour ma vision du cinéma, le montage n’est pas un aspect, c’est l’aspect. Mettre un film en scène est une invention de gens comme vous [les critiques] : ce n’est pas un art, tout au plus un art pendant une minute par jour. Cette minute est terriblement cruciale, mais elle n’arrive que très rarement. Le seul moment où

l’on peut exercer un contrôle sur le film est le montage. Or, dans la salle de montage je travaille très lentement, ce qui a toujours pour effet de déchaîner la colère des producteurs qui m’arrachent le film des mains. Je ne sais pas pourquoi cela me prend tellement de temps : je pourrais travailler éternellement au montage d’un film. … Les images elles- mêmes ne sont pas suffisantes : elles sont très importantes, mais ne sont qu’images. L’essentiel est la durée de chaque image, ce qui suit chaque image : c’est toute l’éloquence du cinéma que l’on fabrique dans la salle de montage.

Entretien avec Orson Wells, Cahiers du Cinéma, #84

Filmographie succincted’Orson Welles : Citizen Kane (1941), La Splendeur desAmberson (1942), La Dame de Shangaï (1948), Macbeth, Othello (1952), Monsieur Arkadin (1955), Falstaff (1966)

Welles homme de radio , quelques temps forts :

1938-1939 :Mercury Theatre On The Air considéré comme le meilleur programme dramatique américain de l’histoire de la radio ((adaptation de romans classiques et de pièces célèbres), émission historique : l’adaptation de La Guerre des Mondes de H.G. Wells qui par son réalisme sema la panique dans tous les Etats Unis (octobre 1938)

 

 

 

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